La fin d’année 2018, aura été marquée par le mouvement de « rebellion » de trois Conseils de prud’hommes qui ont décidé d’entrer en résistance contre le barème Macron.
Depuis la publication, le 23 septembre 2017, des ordonnances de réforme du code du travail, employeurs et salariés savent désormais combien « coûte » au maximum un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sauf cas particuliers, l’indemnité maximale est comprise entre 1 et 20 mois de salaire selon l’ancienneté du salarié.
Ce barème s’impose au juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse,de résiliation judiciaire et de prise d’acte.
Plus d’un an après l’entrée en vigueur de ces ordonnances, le constat est le suivant:
- une diminution importante du nombre d’affaires portées par les salariés devant le conseil de prud’hommes,
- un nombre accru de licenciements abusifs de salariés justifiant d’une grande ancienneté dans l’entreprise ( 10 à 20ans) ou au contraire de salariés justifiant de très peu d’ancienneté
Ces barèmes d’indemnisation sont donc loin de faire l’unanimité ,notamment auprès des justiciables et de leurs conseils qui ont cherché un moyen juridique propre, à en faire écarter leur application. Les indemnités prévues par ce barème étant, dans certains cas, jugées inadéquates et loin de réparer le préjudice subi par le salarié victime d’un licenciement abusif.
Avant même leur ratification ces ordonnances avaient pourtant passer l’examen du conseil d’État et du conseil Constitutionnelle.
Le Conseil d’État avait jugé que le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse n’entrait pas en contradiction avec la convention 158 de l’OIT , et la Charte sociale européenne, notamment parce que le juge français conservait une certaine marge de manœuvre, qui lui permettait d’accorder une réparation en lien avec le préjudice subi. La juridiction administrative a également noté que le code du travail prenait soin d’écarter le barème dans les cas justement les plus préjudiciables : licenciement nul, car discriminatoire, intervenu en violation d’une liberté fondamentale, dans un contexte de harcèlement, etc. (c. trav. art. L. 1235-3-1). Pour le Conseil d’État, il n’y avait donc pas lieu de suspendre l’exécution de l’ordonnance (CE 7 décembre 2017, n° 415243).
Lors de l’examen de la loi de ratification des ordonnances Macron, le Conseil constitutionnel avait pour sa part jugé le barème conforme à la Constitution, avec des arguments comparables, mais sans se prononcer, par définition, sur sa validité au regard de la Convention 158 de l’OIT, question qui n’est pas de sa compétence (C. constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31).
Pourtant, malgré ces décisions, certains justiciables ont invoqué ces même traités pour inciter des conseils de prud’hommes à écarter le barème pour fixer le montant de leur indemnisation.
Alors que ces arguments n’avait pas convaincu devant le conseil de prud’hommes du Mans, qui, d’une part, avait refusé d’appliquer l’article 24 de la Charte sociale européenne et, d’autre part, a considéré que le barème était conforme à la Convention 158 (CPH du Mans, 26 septembre 2018, RG F 17/00538 )
Un mouvement de résistance des conseils de prud’hommes est apparu en décembre 2018:
- Le 13 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Troyes, a le premier considéré que le barème de l’article L. 1235-3 violait la Charte sociale européenne, qui consacre « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate et à une réparation appropriée » et la Convention 158 de l’OIT qui impose le versement « d‘une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié(CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036 )
Pour arriver à cette conclusion, le juge a relevé que :
-le plafonnement des indemnités prud’homales ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ;
-ces barèmes ne sont pas dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié.
Les juges du fond ont, dans ce contexte, largement dépassé le barème en ordonnant le versement au salarié de 37?143,63 €, alors que, légalement, l’intéressé ne pouvait pas prétendre à plus de 16?780,60 €.
- Le conseil de prud’hommes d’Amiens a poursuivi sur la même voie, dans un jugement du 19 décembre 2018, cette fois sur le seul fondement de la Convention 158. Dans cette affaire, les conseillers prud’hommes sont sortis de la fourchette fixée par le barème pour décider d’une indemnité plus « appropriée » (CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG F 18/00040) ;
- Enfin, le 21 décembre 2018,le conseil de prud’hommes de Lyon est venu rejoindre la fronde, au terme d’un jugement ne fait même pas allusion au barème légal : pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les conseillers prud’homaux se sont contentés de faire référence à la Charte sociale européenne (CPH de Lyon, 21 décembre 2018, RG F 18/01238)
En conclusion, ces trois décisions ouvrent donc une période d’incertitude, avec des décisions disparates selon les Conseil de prud’hommes saisis. il faudra attendre d’ici quelques années que la Cour de cassation se prononce sur le sujet, et décide une bonne foi pour toute si le Barème Macron est conforme ou non à la convention 158 de l’OIT et/ou à la Charte sociale européenne.